On lit dans une lettre de jeunesse de Racine, datée de son exil à Uzès :
« J’allais voir le feu de joie qu’un homme de ma connaissance avait entrepris…. Il y avait tout autour de moi des visages qu’on voyait à la lueur des fusées, et dont vous auriez bien eu tant de peine à vous défendre que j’en avais. » Des visages qui apparaissent dans la nuit, à la lumière des flammes : il semble que ce soit là un thème favori de la rêverie racinienne.
Cette image inattendue du jeune Jean Racine, futur protégé de Louis XIV, assis devant un feu de joie, est née sous la plume d’un intellectuel de renom, disparu au printemps 2023 : il s’agit de Jean Starobinski, auteur d’un célèbre essai, L’œil vivant, publié en 1961.
C’est ce sortilège du regard, que nous vous invitons à explorer, ce soir, à travers les grandes tragédies de Racine, d’Andromaque à Phèdre, en passant par Britannicus. Écrites en seulement dix ans, entre 1667 et 1677, ces pièces marquent l’apogée du dramaturge, devenu un familier de la Cour. Après Phèdre, en 1677, le poète abandonnera le théâtre pour devenir l’historiographe officiel du Roi-Soleil.
Pour aborder ce répertoire prestigieux, nous avons le plaisir de recevoir une magnifique comédienne, inoubliable interprète de Claudel, sous la direction d’Antoine Vitez : Ludmila Mikaël…
Amoureuse des grands auteurs - Claudel, bien sûr, mais aussi Shakespeare, Hugo, Musset-, elle a fréquenté les plus beaux personnages, aussi bien dans le registre de la comédie, avec Molière et Goldoni, que dans le registre de la tragédie, avec Corneille et Racine. Chimène, dans Le Cid, est, de son propre aveu, « un rôle injouable ». Sa préférence va à Racine, qui lui offrira ses grands succès, dans les rôles de Junie, Phèdre, puis Bérénice, sous la direction d’un metteur en scène que j’admire et avec qui j’ai eu la chance de travailler, Klaus-Mikaël Grüber…
En compagnie de Ludmila, nous allons faire entendre quelques-unes de ces grandes voix tragiques, qui ont marqué sa carrière, et qui continuent de fasciner la grande comédienne...
Les extraits sonores
- Roland Barthes : J'admets très bien d’entendre uniquement des fragments de Racine
- 10/02/1974 (archive INA)
- Antoine Vitez : La « froideur » de Racine est pour moi ce qu’il y a de plus chaud, c'est « un sorbet au feu »
- 14/07/1975 (archive INA)
- Roland Barthes : Le lieu racinien est « un lieu indirect » donc menaçant, indirect car la scène se passe presque toujours dans une « antichambre »… comme s’il y avait au-delà de cette antichambre un lieu au cœur de l’action mais que l’on ne voit jamais
- 10/02/1974 (archive INA)
- Extrait du film L'entrée des artistes réalisé par Marc Allégret , avec Louis Jouvet (1938)